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Quand le design organisationnel libère la collaboration : retour sur une expérimentation au Parlement suisse

Dans un environnement fortement protocolé comme celui du Parlement fédéral, l’innovation ne réside pas toujours dans les outils technologiques ou les grands projets structurels. Parfois, elle naît dans l’espace le plus fragile et pourtant le plus puissant : celui des relations humaines.

C’est dans cet esprit qu’est né un projet mené avec le Staatslabor, deux stagiaires universitaires — Luz Schaller et Anna Maspoli — et moi-même, en tant que coach. Pendant une année académique, nous avons exploré une question simple : comment revitaliser les échanges informels entre les collaboratrices et collaborateurs des Services du Parlement ?

Un constat : une institution qui communique, mais peu entre elle

Au Parlement, les processus sont rythmés par des protocoles stricts. Les équipes travaillent par domaines, selon des logiques très cloisonnées. La structure même du bâtiment, étiré d’est en ouest, ne facilite pas la rencontre. Résultat : les échanges informels, pourtant essentiels à la compréhension mutuelle et à la créativité, se raréfient.

Et lorsqu’une organisation peine à faire circuler les idées, elle limite sa propre capacité d’innovation.

Prototyper un espace où les idées circulent autrement

Pour redonner une place au spontané, nous avons imaginé puis testé un premier événement participatif au Palais du Parlement, autour d’un thème fédérateur : « l’espace commun ».

L’objectif n’était pas de forcer l’échange, mais d’offrir un cadre simple, accueillant et sans enjeu hiérarchique. Lors de cet événement-test, nous avons observé un phénomène puissant : lorsque des personnes issues de services différents prennent le temps de se rencontrer, elles découvrent non seulement des parcours et des pratiques, mais aussi des convergences insoupçonnées.

Ces observations nous ont conduits à formuler une proposition à la direction du Parlement :
créer un véritable espace commun, au sous-sol du Palais, pensé pour accueillir rencontres, activités et discussions régulières.

Nous étions le seul groupe à défendre une vision volontairement low-tech et profondément humaine de l’innovation. Et c’est précisément cette orientation qui a séduit.

Un espace vivant, inclusif et coordonné

L’espace imaginé se veut polyvalent, accueillant et modulable : un lieu pour des ateliers de photos, des tandems linguistiques, des clubs de lecture, des mini-conférences, ou tout simplement pour faire une pause dans un environnement plus chaleureux.

Une équipe de coordination — d’abord composée des stagiaires, puis ouverte aux collaborateurs volontaires — aurait pour mission de créer et animer le calendrier d’activités. La communication, elle, se ferait principalement via Outlook, Teams et Skype, complétée par le bouche-à-oreille, indispensable pour donner vie à un lieu.

Au-delà des activités, l’ambition est claire : redonner à l’institution un espace de respiration, de créativité et de cohésion.

La réalité du terrain : entre enthousiasme… et résistance

À la fin du projet et au départ des stagiaires, mon chef m’a chargé de porter cette initiative plus loin. J’ai donc présenté le concept aux différents chefs de domaine lors de notre séance hebdomadaire de coordination.

La réception fut contrastée :

  • certains chefs ont préféré demander une liste de besoins à leur équipe,
  • d’autres ont externalisé la réflexion vers des designers spécialisés,
  • aucun n’a souhaité collaborer directement au projet dans un premier temps.

Cette réaction illustre une tension bien connue en milieu institutionnel :
l’innovation sociale bouscule les habitudes autant qu’elle les inspire.

Poursuivre la vision : renforcer la dimension humaine du travail collectif

Malgré ces résistances, j’ai repris le projet pour lui donner un cadre plus formel : plans, exemples, objectifs clairs, valorisation du travail des stagiaires. L’idée n’est pas seulement d’aménager un espace, mais de créer un levier culturel pour :

  • améliorer la communication transversale,
  • renforcer la cohésion entre domaines,
  • offrir un environnement de travail motivant,
  • faciliter des collaborations plus fluides et plus agiles.

Lors du prochain rendez-vous, je défendrai cette vision auprès de l’ensemble des collaborateurs de l’information. Car au-delà du mobilier ou des aménagements, il s’agit de redonner à l’institution ce qui fait sa force : des femmes et des hommes capables de dialoguer, d’imaginer et d’innover ensemble.

Pourquoi l’innovation low-tech bouscule autant : un enjeu de culture organisationnelle

Ce projet ne se heurte pas uniquement à des questions logistiques ou matérielles. Il révèle un sujet plus profond : la culture managériale qui structure les organisations publiques.

Comme le décrit très bien l’analyse que j’ai rédigée dans une autre de mon blog :

La plupart des leaders font appel à des experts externes pour développer créativité et innovation. […] Beaucoup d’entreprises fonctionnent encore avec des leaders qui ont peur de donner des responsabilités à l’équipe. Leur rôle est souvent de donner des ordres et de contrôler. Or ce type de management, ancestral, est tout à fait l’opposé de la créativité et de l’innovation.

Dans les organisations fortement hiérarchisées, le changement ne vient pas naturellement du terrain.
Les freins sont bien connus :

  • peur de perdre du contrôle,
  • poids des processus,
  • rigidité des organigrammes,
  • règles sociales internes qui distribuent pouvoir et légitimité.

Pourtant, la pandémie a accéléré une prise de conscience : les institutions doivent évoluer pour rester pertinentes et attractives. Et certains signaux faibles montrent que le changement est en marche :

Ils viennent de nommer à la direction du Parlement un responsable des prestations numérique : c’est un signe déjà positif.

Dans ce contexte, un espace commun low-tech, humain et participatif devient plus qu’un projet interne.
C’est un acte culturel.
Un symbole d’ouverture.
Un premier pas vers un Parlement où la collaboration, l’innovation et la confiance circulent autant que les dossiers officiels.

Innover, c’est parfois simplement créer les conditions de la rencontre

Le Parlement suisse est un lieu de décision, mais aussi un lieu de vie. En révélant cette dimension humaine, un simple espace partagé peut devenir un accélérateur d’innovation transversale. Ce projet rappelle que les idées neuves ne naissent pas toujours des technologies, mais souvent des relations.

Et parfois, réinventer la manière dont on se rencontre est la première étape pour réinventer la manière dont on travaille.